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Otium
18 octobre 2009

Spirou, le journal d'un ingénu, écrit et dessiné par Emile Bravo

Dupuis, 2008

spirou_couvertureL'histoire : Spirou n'est pas encore le héros que nous avons appris à connaître ; il est encore jeune, travaille dans un hôtel comme groom, va faire la rencontre de Fantasio, et même se retrouver au cœur d'événements aux conséquences tragiques durant la Seconde Guerre mondiale.

Notre avis : en lisant le pitch, on ne peut que se dire « voilà qui est intéressant, la genèse de Spirou, cela promet un bel album ». Malheureusement, le résultat est aux antipodes de nos attentes, et de ce qu'est un album de Spirou tout court. Encensé par la critique, intrigant par sa simple quatrième de couverture qui nous promet de nous révéler tout sur l'origine du personnage, cet album est non seulement raté de bout en bout, mais apparaît aussi comme une trahison de l'esprit d'origine de la série ; et le pire, c'est que personne ne va pouvoir présenter une genèse digne de ce nom ensuite.
Démarche un peu exceptionnelle mais qui va servir notre propos, passons aux échos que l'on peut encore trouver sur Internet (choix hasardeux, parmi les liens que l'on trouve en première page des résultats Google). Le but n'est pas de juger la qualité des critiques et des rédacteurs (les sources fournissent un travail de qualité), mais seulement d'examiner les éléments qu'elles avancent. Alors, que nous raconte-t-on ?

« Emile Bravo a réussi à donner à Spirou une intense épaisseur psychologique, lui a créé une histoire, et a inscrit cette histoire dans l'Histoire. »
C'est peut-être une des assertions qui nous paraît la plus inconcevable après la lecture de cet album. Partant du postulat que Spirou est un ingénu, Emile Bravo fait du personnage un gamin sot, benêt, un peu naïf aussi, et même quelquefois méchant et roublard. Viendrait alors l'épaisseur psychologique, lorsque le jeune homme ouvre son esprit en prenant conscience de la guerre qui éclate. Ainsi, Spirou comprend qu'être groom c'est gâcher sa vie, qu'il est attiré vers des choses plus grandes, même s'il ne saisit toujours rien au monde qui l'entoure. Le simplisme et la caricature de la démarche spirituelle qui est ainsi censée être la sienne mettent déjà l'album en dessous de tous les autres de la série.
Pour ce qui est d'inscrire l'histoire dans l'Histoire, Spirou n'a justement aucune emprise sur les événements, et c'est sa naïveté qui offre une possible solution de paix pour l'Allemagne et la Pologne. En étant à aucun moment acteur du récit, Spirou est davantage esclave d'une suite de péripéties de qualité franchement inégale plus qu'il n'est le moteur du scénario.

« Libre de toute contrainte liée à la série, Emile Bravo s’offre un exercice de style qui retrouve les fondamentaux d’un Spirou. »
« En dire plus serait éventer la magie de cette relecture très fine et très personnelle qui, pourtant, respecte, avec bonheur, et l'esprit et la lettre de la mythique série. »
Bien au contraire, se lancer dans la génèse d'un personnage oblige par définition à travailler sous la contrainte. Et c'est cette contrainte qui doit permettre de faire naître l'originalité. Et comme dit plus haut, il s'agit de tout sauf d'une relecture. Personnages, lieux, dessins, ambiance, ton humoristique : aucune de ces caractéristiques n'est reprise dans cet album, il pourrait s'agir d'un tout autre héros et univers. Un peu moyen pour une genèse. C'est à croire que Bravo n'a lu aucun des albums de Spirou !

« Construire la première rencontre entre Spirou et Fantasio n’était certainement pas facile et l’idée de la construire comme un échec, une rencontre raté, et de plus mettre Fantasio dans le rôle du bête journaliste presque méchant, donne une forme explosive comme celle des bombes qui tomberont quelques jours plus tard. »
Force est de constater qu'à la lecture, c'est bien l'effet inverse qui apparaît ; la rencontre des deux protagonistes est loin d'être explosive, elle est davantage fade et honteuse pour le personnage de Fantasio. Qu'il s'agisse de l'incohérence du caractère ou de son rôle dans l'histoire, cette version est loin de le servir.

« Le journal d’un ingénu est tellement bien réussi que je suis certain que dans quelques années des lecteurs ou pire des nouveaux journalistes critiques de bd oseront se tromper en prétendant que cette bd est la première de la série. »
Aucun risque, les lecteurs assidus de Tintin savent bien faire la différence entre Tintin chez les Soviets et On a marché sur la lune...

Bilan : sans même aller jusqu'à se demander pourquoi personne n'a osé s'insurger devant un tel résultat, on peut se demander quels sont objectivement les point positifs qui ont fait apprécier cette œuvre à de nombreux lecteurs, critiques, etc. Cela reste un mystère. Un auteur nous sert la genèse d'un personnage connu, ici a fortiori très populaire, le livre se vendra bien quoiqu'il arrive. Mais de là à lui trouver automatiquement des qualités lorsque la médiocrité est au rendez-vous à chaque page, c'est assez inquiétant.
Pour faire une comparaison simple, Frank Miller a su faire Batman sien, lui a donné des origines (voir son excellent Year One) en accord avec ce qui a précédé et avec l'imaginaire collectif qui entourait le personnage à travers ses multiples déclinaisons. Et la tâche était loin d'être aisée si l'on compare la mythologie vertigineuse du héros de Gotham à celle de Spirou. Emile Bravo s'est de son côté lourdement égaré, et s'empêtre dans une histoire insipide qui dessert le personnage. Maîtrisant mal voire pas du tout les autres albums de la série, l'auteur mélange tout, donne à un général nazi le nom de Zorglub (probablement dans la tentative, totalement incohérente donc, de faire une référence au Zorglub original), fait de Spip l'antithèse de l'animal de compagnie évolué, drôle et altruiste, et prend finalement à la légère des milliers de morts : l'Allemagne bombarde la Pologne parce que Spip a volontairement rongé des fils lors d'une communication vitale pour la paix afin que l'espèce humaine se massacre (sic !), et parce que Fantasio donne à un officier nazi un coup de poing (code qui n'est jamais vecteur de gravité dans ce type de bande dessinée). On sent la volonté de faire passer beaucoup de messages mais tout sonne faux et Bravo vise à côté.
Cette critique s'est avant tout donné comme objectif de proposer une autre appréciation, afin que les avis positifs sur cet album, qui nous a surtout plus déçus que déplus, soient un peu contrebalancés ;)

Xximus

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